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L'Opéra

A l'opéra nous étions cinq cors ; un cor solo Deschamps qui venait de la radio et qui avait ravi le poste à Paul Giraud, Diméo occupant le poste de 1er et de 3ème moi-même au second et Lucien Sertorius au poste de quatrième.

Pour mettre fin aux tensions, il fut décidé de mettre le poste de co-soliste en concours interne. A cette époque je vivais en couple avec une fille formidable, Claudie Parinet, une charentaise comme moi. Je passais beaucoup de temps à l'opéra, et à cette époque nous faisions 42 services par mois. Pour moi ce concours était très important car Diméo avait deux prix de Paris et moi deux prix de Marseille. Lors de réflexions, je me sentais diminué et pas considéré à ma juste valeur.


La direction de la musique était confiée à Diego Masson et Maurice Suzan. Au jury, A.Vaisse, E.Imbert, G.Seguin, R.Deschamps, A.Giraud, L.Sertorius, Marco le violon solo, Karpo le directeur de l'opéra.
Le programme fixé était composé de : 1er de Strauss en entier, les traits de la 5ème de Mahler, la 5ème de Tchaiskowki, le songe d'une nuit d'été et, pour terminer la sonnerie de Siegfrid, le tout enchainé ! Encore un drôle de programme mais, j'en avais l'habitude !!! Au piano j'étais accompagné par Pierre Pradier, professeur au conservatoire, un garçon avec qui j'aimais jouer et le résultat était magnifique. Cela se passait dans la salle de la radio, après délibération je suis nommé à l'unanimité du jury, devant la consternation de Diméo et de son épouse percussionniste à l'orchestre. Je vécu un grand moment car, je pense avoir réalisé ce jour-là le meilleur concours de ma carrière, mais d'autres épreuves m'attendaient.

 

 

 

Une période d'essai de six mois avait été décidé par la direction. Je commençais par les comtes d'Offman qui s'était réellement bien passé. A tel point que je reçu les félicitations du chef M.Suzan. Au cours de la générale, des insultes furent lancés à l'encontre de mon professeur qui pour cette série avait accepté exceptionnellement de faire le second. Ces insultes venaient de la part de R.Perinelli trompettiste. J'attendais une réaction de mon prof mais rien. A bout de nerfs, je me levais et le menaçais de lui casser la figure expliquant aux autre musiciens comment il était possible de manquer de respect à un tel musicien.

A cette période nous faisions deux opéras et deux concerts par mois, quelques opérettes et ballets aussi. Le concert que dirigeait Masson était un véritable marathon. L'ouverture du vaisseau fantôme, l'ouverture des maitres chanteurs, variations de Haydn sur un thème de Brahms, une œuvre inconnue de moi mais très aigu pour le cor et l'oiseau de feu pour terminer. Devant un tel programme sans doublure, Deschamps vint à mon secours en me proposant de me faire le vaisseau. J'étais sur la scène en coulisse attendant la fin du vaisseau pour rentrer quand le père Deschamps me dit en passant : "C'est la première fois que je vois un chef se planter", dans le passage décomposé. Hélas, il était juste derrière nous...

 

Malgré la pression, le concert se passa bien. Un des concerts dont je me souviens est celui de Baumann. Il était programmé pour jouer le 1er de Strauss mais sur les affiches c'était le 3ème de Mozart qui était inscrit. A la fin du concerto et du bis, il me demanda combien de contrebasses il y avait pour Wagner. Je lui répondis quatre. D'un signe de tête, je compris sa déception car pour Mozart il y avait six contrebasses. Paul Mules avait décidé ainsi !!! J'organisais un pot au premier étage du gaullois avec la complicité de mon ami François, le patron, car la direction n'avait rien prévu pour ce grand artiste. Ce n'était qu'un cuivre ! Je retournais à l'orchestre rejoindre mon poste de premier cor pour terminer par la symphonie fantastique. Vint ensuite la dame de pique, la fiancée del west avec le maestro Migelangelo, Veltri, coppélia etc...

A la fin de la saison, un peu fatigué mais heureux que tout ce soit bien passé, je préparais le concours international de Genève, quand je reçus une lettre recommandée de la direction me disant que mon stage n'avait pas été concluant et que par conséquent j'étais rétrogradé au poste de troisième cor jouant le second, toujours payé en première catégorie. J'étais abasourdi ! J'avais donné le meilleur de moi-même pendant ces six mois et on avait même pas le courage de me dire de vive voix les raisons de cette décision. Ecœuré, je partais en Charente faire la fête et abandonnais Genève.

En septembre, j'appris qu'on voulait refaire le concours interne. Les solistes qui avaient participé au jury refusèrent ce concours bidon. Un jury composé d'administratifs, des chefs Suzan et Masson, entendirent Diméo jouer le deuxième de Strauss qui fut ainsi déclaré co-soliste ! Pour situer le niveau des chefs de cette époque je vais évoqué deux anécdotes. Nous répétions dans la fosse un opéra italien je crois. Lucien Sertorius se trouvait près de la percussion et avait saisi les grelots, un instrument de percussion, et pendant les fortés de la main droite les actionnait. Toute l'harmonie riait intérieurement, mais le seul qui ne s'apercevait de rien c'était D.Masson qui, imperturbable, continua jusqu'à la pause. A la reprise, le 4ème cor recommençait et là il arrêta l'orchestre en disant : "il n'y a pas de grelots à cet endroit !", provoquant le fou rire de tous les musiciens. En faite c'est ça femme qui pendant la pause lui avait signalé cette partie de grelots improvisé. Mais la plaisanterie avait quand même duré une heure et demi !!!!

Palliasse était au programme avec Suzan à la baguette. Le soir de la première avec un ténor pas très bon, les décalages commencèrent un peu partout si bien qu'il fallut tirer le rideau. Heureusement que nous avions des chefs invités de qualité : pour Falstaff, c'était un petit homme aux cheveux blancs qui se nommait Ferrari, un grand talent. Le premier jour devant l'indiscipline des musiciens, il pris sa baguette et sortit de la fosse. A ce moment un grand silence plana dans la fosse. Le régisseur lui demanda de revenir. Ce qu'il fit. Il nous adressa ces quelques mots : "Je ne suis pas venu à Marseille pour faire la police, je suis venu faire de la musique ! Si vous ne voulez pas m'écouter, je repars en Italie !". Nous avons réalisé un magnifique Falstaff. Le chef Michelangelo Veltri venait souvent nous diriger pendants cette période. Je me souviens de la force du destin opéra de Verdi. Ce fut un formidable spectacle. Dans l'ouverture, il obtenait des musiciens plus que les autres. C'était fantastique.

Les chefs de cette époque avaient beaucoup d'expérience car il y avait beaucoup de spectacles et beaucoup moins de répétitions. Certains, comme N.Santi, Ethuin, Markévitch, Etcheverry, Jordan, Aréna Dervaux,Paret, Pretre, Giovaninetti, Plasson, Pale, Baudot, Masini, Veltri, Bessière, sont venus diriger à Marseille et ont laisser de merveilleux souvenirs. Nous recevions aussi de très grands solistes : Iturbi, Rubistein, Bourgues, Te Merguellian, Barbizet, Weissemberg, Khan, Rostropovich, André, Baumann, Rampal, Francescati, Mario del Monaco, Kiri Te Kanawa, Monserrat Caballé, Pavarotti, Kassello, Noucci, Vanzo, Bacquier et tous les autres. La liste serait bien trop longue.

En 1977, Joêl Nicod me proposa de venir jouer une vie de héros à Lyon. Toujours un peu en colère de ce qui s'était passé à Marseille, pour mon poste, j'acceptais et à la fin de la semaine, Gagnère le régisseur me proposait l'intérim pour un an, ainsi que la tournée en Chine, Japon, et Corée du sud. Je posai un congé sans solde à Marseille et me retrouvais au cours Gambetta avec Nicod, Cauchy, et Caens, avec qui je partageais la chambre pendant plusieurs mois. L'ambiance était très amicale. Nous partions répéter en deux chevaux. Il y avait toujours du monde de passage et nous avons partagés quelques bons repas. Nous étions aussi dans le grand ensemble de cuivres de Guy Touvron où plusieurs concerts intéressants ont été donnés, ainsi qu'un disque moyen qui aurait du être bien meilleur par rapport aux enregistrements.

Après la tournée, Serge Baudot me proposa de rester à l'orchestre en passant une audition. Je refusais, mais je me sentais très honoré qu'on ai bien voulu me garder dans ce bel orchestre. Je continuais de jouer à l'opéra de Lyon jusqu'à la création du conservatoire national. En 1981, on me demandait de venir pour la tétralogie de Wagner avec Gabor Otvos, formidable chef Hongrois, où je faisais toute la série au second cor à coté de cornistes fabuleux comme S.Leriche, G.Raquet, Lardi et aux tubens wagnériens Rouch, Nicod. Lardi, subitement malade, dut être remplacé pendant le spectacle de la walkyrie par un jeune élève de Fournier du nom de françois Morela, âgé de moins de dix sept ans et possédant déjà un grand talent. En septembre de cette même année je participais à son concours de cor-solo comme observateur du snam à l'orchestre de Montpellier où il remporta ce concours en faisant preuve de maturité et d'improvisation. Il avait jouer l'aigu de la cadence de Barboteu à l'octave inférieur. Ce jour-là j'ai bien failli arriver en retard pour la dernière représentation de Faust en matinée à l'opéra de Marseille. Mais grâce à mon cabriolet 504 je réussissais un tour de force.
Avec georges Seguin, nous décidions de créer le syndicat national des artistes musiciens de l'opéra de Marseille. La majorité de l'orchestre étant force ouvrière, grâce au dynamisme de George Léris, convaincre les anciens qui ne voulait pas entendre parler de CGT fut une tache difficile. Moi-même ignorant son attachement à la cgt, un jour, deux délégués parisien descendirent pour régler quelques problèmes régionaux. Après avoir parlementé pendant deux heures, leur principal soucis était de savoir où nous allions déjeuner. Je commençais à douter de l'efficacité d'un tel syndicat. Les mois qui suivirent me donnèrent raison. Un concert organisé par le SNAM avait lieu à la Villette. Plus de mille musiciens venaient de toute la France jouer gratuitement pour défendre leurs intérêts. Devant une poignée de spectateurs nous donnions un concert inédit jusque là. Le lendemain pas une seule ligne n'apparaissait dans les journaux parisien. Je venais de comprendre que nous ne représentions rien.

De retour a Marseille j'étais très sollicité pour remplacer dans les orchestres de la région. Le 1er fut Perpignan pour Lakmé, le régisseur avait appelé Deschamps, mais celui-ci n'aimait pas trop partir alors il demanda un cachet très élevé étant donné que, dans cet opéra, il y a le solo du ballet la source et que les amateurs de "cachetons" faciles comme par hasard n'étaient pas libres. Le chef était une vieille connaissance de mon professeur et quand le régisseur le rappela, il dicta ses conditions de la manière suivante : "Je viendrais pour la première, mon second "moi-même" viendra à la générale, et nous sommes bien d'accord pour le cachet (qui était plus du double des autres musiciens)'. Il termina en disant : "Vous direz à Echetvery que c'est Deschamps qui vient !". Ce fut une semaine de rigolade et de bons repas.

Au début de chaque été nous donnions des spectacles en plein air et souvent dans des endroits qui n'étaient pas faits pour ça, notamment la belle Hélène à Beaumont sur un stade de sport entouré d'immeubles où un bonhomme qui se levait tôt pour travailler se mis a gueuler : "Vous avez pas bientôt finit avec votre musique" et où on devait supporter toutes sortes d'agressions. Cette année là c'était un ballet au parc brégante. Le régisseur pour favoriser les trompettes de ses copains, nous avaient installés nous les cors, le dos à la scène, les pavillons à quelques centimètres du panneau créant de mauvaises conditions pour jouer. Après avoir réclamé au régisseur sans rien obtenir, quelques mots aigres furent échangés. J'étais très énervé mais le spectacle commençait. Au moment de l'entracte, je le cherchais avec de mauvaises intentions, mais je ne le trouva pas. Après le spectacle, je voulais partir rapidement, mais un machiniste me bloquait avec sa voiture. Je partais derrière les décors le chercher quand je tomba nez à nez avec le régisseur qui était sur la scène. Il me dit : "Tu as eu de la chance tout à l'heure!". Et là, je l'attrape et le frappe à plusieurs reprises, finalement séparés par Fred Campanella. Je pars en croisant Vaisse, effaré par ce qui venait de ce passer, et rentre chez moi. Le lendemain je revenais pour le spectacle, notre emplacement avait été modifié. Tous les musiciens m'ignoraient. Même les cornistes pour qui je m'étais disputés ne me saluèrent pas. Un musicien, le clarinettiste René Ferrando, se leva et me dit en me serrant la main : "Bonjour Gestraud". Lorsque Tupinier, remplaçant le régisseur, vint me voir et me dit que l'adjoint à la culture souhaitait que je ne reste pas à l'orchestre et que en septembre je passerais devant la commission de discipline pour statuer sur mon devenir. Le lendemain je me rendais en moto à Angoulême où ma mère venait d'être hospitalisée et me consacrais à son rétablissement.

La saison 1980 venait de commencer. J'attendais toujours de passer devant la commission de discipline quand un évènement pas très reluisant se passa. A la pause, l'orchestre avait été rassemblé pour statuer sur mon cas. Il était question de savoir si on devait me garder ou bien me mettre à la porte. René Ferrando, homme respecté, prit la parole en ces termes : "Quel espèce de gens êtes vous pour me demander une chose pareille, vous me dégoutez !". Puis il se retira. Irène Van Zandick pris elle aussi ma défense, invoquant une querelle d'anciens militaires. Finalement, tout le monde se retira sans prendre de décision. Moi, je prenais la mienne. Ne plus appartenir à aucun syndicat. Une commission avait été réuni avec les fonctionnaires de la mairie de Marseille, sous la présidence de maitre Paoli, pour condamner mon geste. Masson qui avait vu là l'occasion de me faire mettre à la porte avait requit, auprès de l'adjoint et du maire Gaston Defferre, plusieurs demande de mise à la porte. Je pense que Marcel Paoli m'estimait bien, raison pour laquelle ces demandes n'ont pas abouties. J'étais défendu par une jeune avocate du nom de Liliane Costa qui,  ce jour là, avait plaidé ma cause comme si j'avais été un grand criminel. Au bout de deux heures, la commission décida ma mise à pied pendant un mois sans salaire, ainsi qu'un blâme inscris dans mon dossier.

Quelques jours après, Joel Nicod me téléphonait pour me proposer de faire le quatrième dans le freischütz à l'opéra de Lyon, ce que j'acceptai avec joie. Pendant les répétitions, je rencontrais Martine Meilland, jolie étudiante en médecine, qui achetait un sandwich rue de la République, avec qui j'aurai Marine, une fille magnifique. Je passais un mois formidable sans perdre de salaire grâce à mes amis musiciens de l'opéra de Lyon.