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Changements

De retour à Marseille, des changements de directeur s'annonçaient. On jouait le crépuscule des dieux de Wagner et mon professeur avait décidé avec hésitation de passer au cor descendant que je jouais depuis quelques années. Il avait commencé à répéter avec son ascendant, quand il reçu ce beau cor alexander n°103. Il ne put résister à le jouer pour la troisième représentation de Wagner. C'etait un mercredi soir, jour très difficile pour les solistes de l'orchestre qui étaient tous professeurs au conservatoire. Dans le troisième acte, un rappel de la sonnerie de Siegfrid en mi lui causa beaucoup mal. La fatigue et les changements de doigtés du nouvel instrument provoquèrent un manque de clarté dans l'exécution de ce trait à tel point que le public s'en aperçu et manifestèrent un grondement dans la salle. Profondément vexé, R.Deschamps se leva, pris son instrument, et quitta la fosse faisant venir Diméo qui était dans le foyer. Ce jour là, me trouvant au second cor, j'eus beaucoup de peine pour cet artiste que les spectateurs venaient féliciter à la fin des opéras, qui se trompait pratiquement jamais, de Bâle à Lyon, à la radio où il avait joué l'intégrale des symphonies de Haydn, puis à l'opéra de Marseille. c'était un corniste d'exception qui avait fait une carrière magnifique et qui, en deux minutes, brisait cette formidable réputation. Car bien entendu, on se souviendrait que de ce malheureux incident ! Il quitta l'orchestre quelques mois plus tard et fut remplacé par un autre grand corniste, Jean Marc Dalmasso, qui le remplaça également au conservatoire.
 

 

Le nouveau directeur de la musique était Janos Furst, qui était à l'époque en poste à Dublin. Il arrivait à Marseille où des changements se produisaient dans les effectifs. Au pupitre de cor Taupînard quittait l'orchestre. Paul Giraud qui venait de prendre sa retraite décédait d'une tumeur au cerveau. Le quatrième cor Monsieur Charboullia décédé lui aussi des même causes avant la retraite. Un poste de co-soliste fut mis en concours et des bruits circulaient que Pascal Pongy cor solo à l'opéra de Lyon se présenterait. De jury pour ce concours avec JM Dalmasso, Diméo et moi même nous attendions la perle rare. Pongy fit un  beau concours et le choix pour certains était difficile. Dans les traits d'orchestre c'est avec till espiègle que les choses se décidèrent : Jean Marc et Furst trouvait la sonorité de Pongy un peu faible quand à la fin du trait, Pascal avait terminé sur un contre ut puissant et sonore. Je me tournais vers Furst en lui disant : "Vous trouvez ça petit ?".  Au moment des délibérations, il se tourna vers Dalmasso déléguant ses responsabilités en disant : "Je donne la parole à Monsieur Dalmasso !", lequel annonça Pascal Pongy avec ma bénédiction, Furst déclarant : "J'ai mes deux cors solo et que Diméo tant qu'il serait la resterait au troisième."

La venue d'un nouveau chef était un évènement de curiosité et d appréhension. Tamas Véto était un chef juif hongrois comme Furst et Gabor Hotvos avec lesquels j'avais fait à Lyon une formidable tétralogie et qui avaient poursuivit leurs études musicales ensemble. Véto dirigeait Parsifal de Wagner, au pupitre de cors, Dalmasso, Gestraud, Pongy, Huot formaient un super pupitre qui, sous la direction de ce formidable chef, se solda par un des plus beau parsifal de ma carrière.
 

Passionné par la pèche à la mouche depuis mes début à l'opéra, je partais souvent pêcher avec rené Puech, un formidable pêcheur et un bon ami. Ce jour là, nous partions  dans la jonte en Lozère. Après avoir déjeuner chez Armand, un petit restaurant qui surplombe les gorges, nous sommes descendus, René en amont et moi en aval de la rivière. Après avoir pris trois truites en remontant le courant, mon pied droit a glissé en tournant sur les rochers glissants et j'ai entendu le bruit des deux fractures "tibia péroné". Tombant dans le courant, je faisais un effort pour attraper ma canne et sur mes deux mains me sortais en reculant de la rivière. Pendant deux heures, je restais à espérer le passage d'un pécheur mais rien. Voyant venir la fin de journée, je décidais d'appeler au secours. Les gorges étant assez encaissés à cet endroit, il m'a fallut attendre encore deux bonnes heures avant qu'un parisien en vacances m'entende et descende me voir par un sentier très pentu. Le temps de remonter et de prévenir les pompiers, j'avais passé plus de cinq heures au bord de l'eau. Emmené à l'hôpital de Millau, on me faisait un plâtre provisoire pour la nuit et on me refusait toutes communications téléphoniques sous prétexte que le standard était fermé. Opéré le lendemain je m'apercevais rapidement que mes pieds n'étaient plus a onze heures cinq, mais à onze heures quinze car l'interne, libanais je crois, après l'opération m'avait tout simplement posé la jambe dans ce plâtre provisoire sans tenir comte de la position de mes pieds. Résultat au bout d'un mois il fallut casser de nouveau et poser une plaque vissée. Effectué dans la clinique du talentueux chirurgien monsieur Bartoli, hélas décédé quelques mois plus tard...

Avant cet accident nous avions procédé au conservatoire à une audition pour un éventuel remplacement de cor grave. Taupinard ayant réussi à Bordeaux, nous avait quitté. JM Dalmasso avait demandé à un jeune corniste de Toulouse de passer l'audition. C'était Pierre Briand, un garçon formidable, avec qui j'allais passer de merveilleux moments. Pour l'audition, Agrottera avait été imposé. Pierre avait été le meilleur : sa puissance dans le grave et sa vélocité avait fait la différence. Par conséquent, il avait été choisi pour me remplacer pendant un an. A cause de l'incapacité d'un interne je passais six mois sans pouvoir poser le pied par terre et six autres mois de rééducation. Pendant mon absence, le poste de Taupinard avait été programé. Deux concertos étaient aux programmes : Neuling,et Mozart.  Pierre qui était venu me jouer son programme avait toutes ses chances mais,il echoua au concours  C'est vincent Robinot qui réussira ce concours et qui deviendra plus tard professeur au conservatoire.

De retour a l'opéra on m'avait proposé de tourner un film publicitaire dans les arènes de Arles, je demandais à Pierre s'il pouvait venir, à cette époque n'ayant pas de poste, ce petit cachet était le bien venu. Il  était convenu qu'il passerait me chercher à cinq heures trente. En retard d'une demi heure, il se faisait rappeler à l'ordre puis nous avons passés une journée à rire. Nous avons jamais vu ce film, mais cette journée allait démarrer une solide amitié et une grande complicité.
 

Pierre Briand, quelques mois plus tard avec une plus grande préparation, rentrait à l'orchestre national de Montpellier. Puis, quelques années après il s'imposait dans le magnifique orchestre de la suisse romande comme second cor. Pascal Pongy, formidable corniste mais d'un équilibre fragile, après quelques déboires, quitta Marseille et de nouveau un concours de premier cor avait lieu. En finale, un élève de Barboteu qui était au jury et Patrick Peignier qui venait de Nancy. Barboteu qui insistait un peu trop sur son élève, après la 5ème de Tchaikowsky où Patrick avait magnifiquement joué m'entendit dire c'est bon nous avons notre premier cor en la personne de P.Peignier car c'est moi qui vais jouer à coté de lui pendant 20 ans. Pas très heureux mais n'ayant pas le choix, les collègues du pupitres me suivirent et nous avons fait le bon choix. Il commençait la saison avec la femme sans ombres et prouvait qu'il était un grand corniste ce qui se révèlera quelques années plus tard en rentrant à l'orchestre de Monaco comme soliste.

Avec Furst, chef doué mais pas porté sur le travail, c'était assez agréable. Diméo qui devait faire Carmen au 1er cor se désistait au dernier moment et me demandait de le remplacer. Il faut dire qu'avec Furst, ce n'était pas le grand amour. Au cours d'une réunion d'orchestre, il lui avait dit : "Je n'ai jamais entendu un corniste jouer aussi mal le barbier de Séville, c'est honteux !" devant tout l'orchestre je n'avais vu cela !!! Me voilà comme toujours obligé à la dernière minute de jouer sans préparation des œuvres difficiles alors que je suis second jouant le troisième. Même Furst pendant Carmen avait dit : "Vous êtes incroyable monsieur Gestraud ! Vous passez du quatrième au premier avec une telle facilité !" qu'il croyait ! Les premières lectures étaient assez pénibles. Il avait fait référence à Fidélio où il m'avait demandé de faire le quatrième pour avoir un pupitre de cors homogène.
 

Remise médaille d'or par M. Gaudin maire de marseilleNous avons avec lui réalisé une très belle 7ème de Bruckner avec Pascal et Jean Marc aux postes de solistes. Ce fut un beau concert, l'opéra de Rusalka sera lui aussi une réussite. Mais par contre l'intégrale des concertos et symphonies de Brahms dans la cour du concervatoire fut lamentable avec le premier cor : Diméo pas en forme du tout, Colon au 2eme très discret, moi-même au 3ème avec Huot que j'encourageais. Je crois que ce jour-là j'ai eu honte de sortir avec mon instrument. Et si j'avais pu passer par une issue de secours, je l'aurais fais bien volontiers ! Heureusement d'autres concerts plus réussis ont eu lieu dans cette cour, notamment avec P Barbizet et JP Rampal à la baguette.

Tamas Véto, qui dirigeait Parsifal, était aussi programmé pour un concert comme cela se faisait à l'époque. Pour des raisons techniques nous ne pouvions répéter. Finalement nous avons jouer le sacre du printemps avec trois lectures et j'avoue que le résultat avait été surprenant, grâce à l'attention de tous le monde.