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Le concours

 

Printemps 1968, en raison des évènements en France, la musique comme le régiment étaient mobilisé pour la garde des points stratégiques de Marseille et de ses alentours.
Lors du sport matinal, en sautant un mur, je glissais et m'ouvrais le genoux droit assez gravement. Emmené à l'hôpital Lavérant, je fus recousu et plâtré. Le commandant médecin voulant à tout pris me garder a l'hôpital, je lui demandais de bien vouloir me laisser repartir à la musique car, la-bas, je pouvais continuer à travailler mon instrument malgré mon plâtre. Ce mois de mai me permis d'apprendre les sept clés et de parfaire ma technique. Au conservatoire, j'avais été inscris au cours moyen adulte. Le jour du concours j'obtenais ma médaille à l'unanimité, puis mes deux premier prix l'année suivante. A la musique, j'étais toujours consigné ou en "taule". A tel point que je prenais la décision de déserter avec une jeune prostituée. Le jour du départ, j'avais posé une trente six heures, donné tous mes effets aux copains de chambre. Mais au dernier moment, le caporal de semaine vint me dire que je devais passé voire le chef Laurent pour un détail concernant ma permission. En arrivant devant le bureau, deux PM me prenaient par les bras et m'emmenaient directement au bureau de la CCR commandé par le lieutenant Schmidt. Au garde-à-vous, j'expliquais les raisons qui m'avaient poussés à ce geste très grave. Verdict : vingt jours de d'isolement. En prison je pensais a ma copine qui devait se demander ce qui m'était arrivé. Je fus de nouveau présenté au commandant de compagnie qui me demanda si j'avais toujours l'intention de "tailler la route". Je lui répondis que ce n'était pas vingt jours de prison qui changerait ma décision. Alors me répondit-il, tu y retournes. Au bout d'une semaine, je sortais et revenais à la musique où un changement d'attitude à mon égard me laissait septique car tout le monde voulait m'aider. En fait, Scmidt, qui était un officier dans l'armée allemande, avait commencé comme légionnaire en Indochine, était très craint par tout le monde dans le régiment. Je pense aujourd'hui qu'il avait du leurs passer un drôle de savon et en plus il avait donné des ordres pour mon avancement.

Je passais première classe à la première occasion, et mon nom s'affichait sur la liste du peloton de caporal. A mon retour, je préparais les concours de perfectionnement, et chef de chambre comme 1ère classe déjà, je continuais comme caporal. J'apprenais qu'un des caporaux de ma chambre m'avait dénoncé au chef Laurent, sicilien du nom de Bariselli. Le chef de musique Gulli me donna le poste de cor solo ce qui déjà ne plaisait pas a tout le monde.

Raymond Deschamps pour ses 75 ansArriva le jour du concours, j'étais fin prêt, quand je fus prévenu du décès de ma grand-mère paternelle, femme extraordinaire, que j'aimais profondément. L'enterrement avait lieu le jours du concours. Mon professeur me déconseilla d'aller en Charente en insistant sur l'importance de ce concours, ainsi que sur les conséquences que ça pouvait avoir sur ma carrière professionnelle. Je renonçais donc à partir et faisais un magnifique concours où j'obtenais mes deux premier prix de perfectionnent avec félicitations du jury et unanimité ainsi que le prix du département. Le jour du concert de la remise des prix, M Deschamps vint me dire qu'une place de cinquième cor allait être mis en concours et qu'il souhaitait que je passe ce concours. Impressionné par l'enjeu, j'écoutais les conseils de mon professeur et me remettais de nouveau au travail. Le programme du concours était : la villanelle, le 1er de Strauss et, un déchiffrage. Nous étions onze candidats dont Claude Colon qui l'année précédente, avait fait un très beau concours. D'après Deschamps, il aurait dut rentrer mais c'est Michel Diméo qui venait de réussir son concours à Paris et à l'opéra de Lyon qui emporta le concours. Je passais le dernier. Lorsque je quittais le foyer des musiciens en direction de la scène,  je croisais Colon qui venait de jouer St-Saens et qui me dit : "j'ai joué comme un con, la place est pour toi!". Effectivement, j'étais retenu comme remplaçant pendant un an avec obligation de repasser le concours. M Giovaninetti était strict, mais droit. Il avait considéré que j'avais bien joué mais que je devais encore progresser.

 

Après une première saison à l'opéra, le concours fut fixé. Le programme décidé pour cette place de second cor a été le suivant : Tomasi au 1er tours, Deschamps avait dit "Avec ce 1er tour, on aura moins de monde !". Et il avait raison ! Nous étions deux : Carboni et moi.  Au 2ème tour : fantaisie légende de Colomer. Malgré le bon niveau de Carboni, j'étais pris pour ce poste, enfin récompensé de trois années de travail intense au moment où j'allais quitter la Legion Etrangère, cette formidable école de la vie qui marquera ma vie pour toujours.

En septembre 1970, mon professeur me conseillait de présenter le conservatoire de Paris. Je préparais le morceau de concert de St-Saens et je décidais de monter à Paris en stop car, à l époque, les salaires des musiciens n'étaient pas terribles. Me voilà parti sur le port de Marseille, à la recherche d'un camionneur qui veuille bien me prendre. Après quelques tentatives vaines, je trouve un jeune sympa qui est d'accord, mais qui doit d'abord charger son 38 tonnes de cartons de pamplemousses. Bien évidemment, je me propose de l'aider sans vraiment me rendre comte du travail que sa représente. Quelques heures après, nous étions sur la route dans un scania tout neuf, on s'arrêta devant un routier et il m'invita très gentiment à manger. Après un voyage long et fatiguant, je me trouvais enfin dans l'enceinte du conservatoire de Paris. Je ferai connaissance de Jean-Marc Dalmasso, qui sera quelques années plus tard cor solo à l'opéra de Marseille. A la fin du concours, Robert Téga, qui était au jury, vint me voir très rassurant sur ma prestation. Le moment des résultats arriva. Je n'avais pas réussi : il me manquait une voie ! C'était la voix de Jacky Magnardi qui me reprochait de trop vibrer, et de lui répondre que moi cela me faisait plaisir de jouer comme ça et que je ne changerais pas ma façon. En fait, son fils était de Marseille, où il vivait avec sa mère à l'Estaque. Elève de Deschamps, son père aurait bien aimé le caser à l'opéra. Le fait que je sois rentré apparemment ne lui aurait pas plu.

Le retour en stop fut beaucoup plus compliqué ! Le cor ascendant démontable alexander donnait l'apparence d'une petite valise, et dans l'autre main j'avais une vraie valise dans laquelle j'avais mis quelques effets dont mon costume pour le concours. Vers six heures du matin, un automobiliste trouva pas mieux que de me laisser devant la prison Saint-Paul à Lyon sous une bruine glacée. Pendant plus d'une heure pas une voiture ne s'arrêta, pensant qu'avec mes deux valises je venais d'être libéré de prison. Je prenais la décision de m'éloigner de cet endroit et après plusieurs changements de voitures je rentrais chez moi épuisé.

Déçu, je reprenais le travail plus décidé que jamais. En 1974, les CA firent leurs apparitions. Au moment de la session cor, sur les conseil, de mon professeur, je retournais a Paris. J'étais hébergé chez une jolie copine, mais devant ma détermination à réussir ce concours, je restais inaccessible. Malgré l'étonnement de son amie, je partais me coucher très tôt car je pressentais qu'une dure journée m'attendait. Le programme du concours se déroulait suivant : 1er tour 4ème de Mozart en entier. Nous étions une trentaine dont mon copain de classe J.P. Joanny. Nous étions convoqués pour 7 h 30 dans un collège de banlieue. Ne connaissant pas l'adresse, j'étais parti très tôt. Je prenais un chocolat au café du quartier. Soudain, je reconnu Daniel Bourgue qui s'aperçut que j'étais un candidat du concours. Il paya les consommations et nous partirent en bavardant au collège. Après le tirage au sort, je me retrouvais le dernier à passer. Nous étions accompagnés par le merveilleux pianiste et corniste Mr Merlin. Je passais vers 12h30 et je reconnais avoir joué avec beaucoup de facilités grâce au génie et au métier de ce brave homme. Les résultats tombe : je suis retenu pour le second tour ! Nous partons déjeuner. A part Jouanie qui lui repartait sur Marseille, je connaissais personne. Dans l'après-midi, sans me presser, je rejoins les candidats retenus pour le deuxième tour. Parmi eux, André Cazalet, Cantin, Catanalotti, Romano, et Michel Molinaro qui fut particulièrement attentionné à mon égard pour l'épreuve pédagogique.
En fin d'après-midi, mon tour arrive. M Deschamps m'avait conseillé de jouer comme morceau au choix Tomasi, les deux premiers mouvements. Devant la surprise des autres quand ils virent mon choix, je restais confiant car ce concerto m'avait déjà réussi. En raison du moins grand nombre de candidats, les résultats arrivent assez vite. Sont retenus : Cazalet, Cantin, Catanalotti, Romano, Guillot Molinaro, Gestraud, et encore quelques uns dont les noms ne me reviennent pas. Ma joie est immense ! Le jeune légionnaire inconnu s'est imposé parmi les meilleurs cornistes du moment. Mais le concours continu et là, les choses commence à se compliquer. Au jury, deux écoles s'affronte : les partisans du cor en fa pour Lucien Thevet et le cor en ut pour Georges Barboteu. Je pense que, sans l'aide de Michel Molinaro, je n'aurais pas réussi cette épreuve...

Comme je l'avais souvent entendu à la classe de cor un gamin, qui voulait jouer du cor mais qui jouait du piano, préférait entendre en ut et, pour les débutants en fa. Il fallait avec le jury essayer de faire plaisir à tout le monde. Je passais aux alentours de 21 heures. Entre les transpositions à réviser et l'attente, j'étais épuisé. A la fin de l'épreuve, Gilbert Coursier me demandait de nommer les quatres opéras de la tétralogie. Je citais les trois premiers et n'arrivais pas à trouver le quatrième. Et Coursier de me dire que nous l'avions joué en septembre. Effectivement nous avions joué le crépuscule en début de saison et les tubens étaient joué par les cornistes de l'opéra de Paris. Mais j'étais tellement vidé que mon cerveau ne réagissait plus. Après une journée de quatorze heures, les résultats étaient donnés : Cazalet Molinaro, Cantin, Catanalotti, Romano, et... Gestraud  !!!


Je prenais le métro pour revenir en compagnie de monsieur Lucien Thévet. Très impressionné par ce grand artiste, je le trouvais très simple et très gentil. Je retrouvais mes deux copines et malgé leur beauté, je m'endormais sur le canapé.